Jeudi 26 mars, une conférence de presse s’est tenue dans les locaux de La Quadrature Du Net afin de faire entendre la parole d’acteurs de la société contre la Loi sur le Renseignement, laquelle doit être votée à partir du 13 avril 2015.
Parmi les présents, on trouvait La Quadrature du Net, Amnesty International France, Reporters Sans Frontières, l’Observatoire des Libertés et du Numérique, le CREIS-Terminal, la Ligue des Droits de l’Homme, le Syndicat de la Magistrature, le Syndicat des avocats de France et le CECIL.
Ce qui frappe d’emblée dans ces prises de parole, c’est l’absence d’ambiguïté quant à la dénonciation d’un risque de surveillance de masse. Trois autres problèmes fondamentaux structurent le positionnement commun:
- La question du rythme de l’étude du projet. L’utilisation de la procédure d’urgence pour voter cette loi ne permet pas l’installation d’un temps de réflexion pour la société civile.
- La question de la légalisation automatique des pratiques illégales des Renseignements (« allégales » selon le gouvernement).
- La question du recours pour les personnes pensant être sujettes à la surveillance qui est « quasiment inexistant ».
Une loi qui pourra impliquer les organisations politiques, syndicales et le mouvement associatif
Pour la LDH, il faut souligner que le discours du gouvernement présente le projet comme étant vertueux, alors qu’il légalise selon eux « des pratiques délinquantes et liberticides ». L’absence de volonté de négociation est elle aussi pointée du doigt.
Comme plusieurs autres acteurs, la Ligue rappelle qu’il ne s’agit pas d’une loi contre le terrorisme, comme on pourrait le penser étant donné le contexte politique et la communication gouvernementale, mais d’une loi sur le Renseignement. Cette distinction apparemment anodine a le mérite de proposer une prise de recul vis à vis d’une loi qui a été préparée bien avant les attentats de janvier, et dont le champ d’application dépasse très largement le problème de la supposée menace terroriste sur le territoire.
L’ouverture est en effet immense. La LDH considère donc que les organisations politiques, syndicales, et le mouvement associatif pourront tout à fait être concernés par cet élargissement du champ d’intervention. On se souvient alors du fichier EDVIGE. C’est également un projet qui organise « l’impunité des agents de l’État » et « le privilège donné au jugement administratif » qui est dénoncé.
Pour conclure, Pierre Tartakowski de la LDH lance: « C’est un projet qui ne fait pas confiance à la société mais qui demande à la société de faire confiance à l’État. Mais ce que nous avons appris, c’est que face à l’État, il ne faut pas de la confiance, il faut des garanties ».
La liberté de la presse menacée
Infatigable refrain fredonné depuis les attentats contre Charlie Hebdo, la menace vis à vis de la liberté de la Presse n’est plus ici l’apanage des terroristes. Pour RSF, la loi aura un impact direct sur les libertés des journalistes et pourrait bien compromettre la protection des sources. L’association demande donc une exception journalistique en s’appuyant sur la recommandation de la CNIL. Son porte parole Christophe Deloire critique également le blocage administratif d’un site mis en œuvre courant mars, au prétexte qu’un discours d’un responsable de l’État Islamique avait été cité.
Pas de doute, les inquiétudes sont grandes chez les journalistes aussi…
Un contrôle et des recours aux contours bien flous
Amnesty International France s’offusque par le biais de Geneviève Garrigos de l’absence de réflexion sur la problématique du Renseignement. Elle le définit ainsi: ce sont « des agences qui travaillent dans l’opacité et qui recueillent des informations ». Si le texte propose officiellement d’entraver ces risques de dérives, il est une fois encore présenté comme étant loin de se limiter au domaine du terrorisme. Elle relève notamment la protection des intérêts économiques de la France et la lutte contre les violences collectives, et anticipe elle aussi un ciblage des mouvements sociaux.
Le Droit fondamental est mis de côté: c’est le droit à la sûreté qui est sacrifié (garanti normalement face aux abus de la puissance publique), au profit du renforcement d’une protection des agents.
La CNCTR (Commission Nationale de Contrôle des Techniques de Renseignement) censée contrôler les mesures de surveillance, est de ce fait consultative. Si un individu est susceptible de participer à des mobilisations collectives ou de remettre en cause la sécurité d’une entreprise située en France, il pourra faire l’objet de mesures de surveillance. Mais seul le premier ministre pourra prendre la décision de cibler un individu. Pour Amnesty, il s’agit là d’une « remise en cause du principe d’inviolabilité du domicile et du droit à l’intimité », et d’un « refus d’un droit de regard indépendant [vis à vis] du politique ».
Si l’on pense être visé par une mesure de surveillance, la saisie du Conseil d’État sera possible, mais celui-ci ne pourra que confirmer s’il y a une mesure. La personne ne pourra être informée de ce qui a été mis en place, ni pour combien de temps. Le secret défense prévaudra. Là encore, « on empêche le contrôle démocratique » déclare Geneviève Garrigos . L’article 7 étend pour cela la pénalisation de la révélation sur l’existence de mesures de surveillance, même illégales. On pense rapidement au sort envisagé pour les lanceurs d’alertes.
L’Amérique, je veux l’avoir, et je l’aurai
Comme Joe Dassin, La Quadrature du Net s’est donnée pour mission de scruter outre-Atlantique pour comparer les ressemblances en terme de pratiques de Renseignement. L’association dénonce en avant-propos une politique de l’autruche car les pratiques de la DGSE et les accords LUSTRE n’ont « donné lieu à aucune réaction publique claire », et ce malgré des mois de polémiques autour des révélations Snowden. Cette omerta sur les pratiques américaines s’avère moins surprenante lorsque l’on observe les projets de renseignement français. L’article L851-4 sur les « boîtes noires » est ainsi mis en parallèle avec la loi britannique installant la pièce centrale de la surveillance systématique du GCHQ (Renseignements britanniques, alliés à la NSA).
De même, les communications émises ou reçues de l’étranger sont visées par la loi en préparation, ce qui recouvre une « très grande partie des communications » pour La Quadrature. Là encore, on fait le lien avec le placement de mouchards et la collecte « upstream » de la NSA, c’est à dire directement branchée sur les câbles Internet. Les modalités de surveillance feront également l’objet d’un décret non publié, autre outil dont se sont dotés les américains avec l’article 702 de la FISA, cette cour secrète couvrant les agissements de la NSA.
Enfin, pour la Quadrature, l’article qui immunise les agent de « criminalité informatique » si les faits sont réalisés à l’étranger fait irrémédiablement penser aux pratiques de hacking de la NSA.
Le bilan n’est donc pas très réjouissant pour toutes ces associations, mais leur message est clair, il est temps de nous faire entendre.