C’est l’une des questions fondamentales qui se pose à la lecture du projet de loi sur le Renseignement: quel contrôle et quels recours seront possibles lorsque les services de renseignement couverts par le secret défense pourront poser balises, micros, caméras et mouchards sur nos appareils électroniques? Peu abordé d’un point de vue pragmatique, ce « détail » a été évoqué lors d’un passage à France Inter du rapporteur du texte Jean-Jacques Urvoas. Et sa réponse est tout à fait instructive…
L’échange se déroule au 7/9 de Patrick Cohen sur France Inter le mercredi 15 avril 2015. Un auditeur passant à l’antenne s’inquiète des possibilités de recours:
« J’aurais voulu savoir si la loi prévoit un ou plusieurs recours juridiques pour les personnes qui sont écoutées de manières abusives. »
Bien rodé sur le sujet, Urvoas propose la réponse préparée habituelle et expose les deux possibilités prévues:
- La saisie de la CNCTR (Commission Nationale de Contrôle des Techniques de Renseignement),
- et s’il n’y a pas d’enquête justifiant les écoutes, l’opportunité offerte de saisir une formation spécialisée du Conseil d’État.
Urvoas fait son Ouroboros
Un peu léger si l’on se projette concrètement dans la situation. Une seconde question venant des réseaux sociaux amène donc les journalistes à pousser un peu le raisonnement, et on sent alors le député moins à l’aide dans ses pompes:
« Comment saisir les juges si on ne sait pas qu’on est surveillé? Vu que c’est le principe…
-C’est une très bonne question [NDLA: Tu m’étonnes John!]. D’ailleurs si le travail est bien fait, on ne sait pas qu’on est écouté. C’est la raison pour laquelle on a prévu un mécanisme en deux temps:
On saisi la CNCTR en disant « je suis écouté, mes libertés sont écornées, je vous demande de rectifier ».
La CNCTR mène l’enquête, et la CNCTR constatera. Ou vous êtes écouté et c’est normal puisque la personne en question est une menace et on ne va pas lui dire: « oui vous êtes écouté ne vous inquiétez pas, passez donc sur un autre domaine comme ça on ne vous écoutera plus ». Si c’est une menace pour la république et pour les libertés elle continuera, mais la commission ne le lui dira pas.
Si la personne est indûment écoutée, nous sommes dans ce cas, et bien la CNCTR saisira le conseil d’État.
-Oui mais si on ne sait pas qu’on est écouté personne ne va saisir la CNCTR…
-Oui mais là le serpent se mord la queue au bout d’un moment! Si la personne ne sait pas qu’elle est écoutée ça veut dire qu’il n’y a pas de raison qu’elle soit écoutée. »
Vous avez tout bien suivi comme il faut? Si vous ne le savez pas, c’est qu’il n’y a aucun risque. En gros: ayez confiance! Voilà à quoi tient le très complexe mécanisme de recours proposé aux citoyens…
Pour rappel, le projet de loi Renseignement ouvre le champ des missions des services à 7 grands domaines:
- L’indépendance nationale, l’intégrité du territoire et la défense nationale
- Les intérêts majeurs de la politique étrangère et la prévention de toute forme d’ingérence étrangère
- Les intérêts économiques industriels et scientifiques majeurs de la France
- La prévention du terrorisme
- La prévention des atteintes à la forme républicaine des institutions, des violences collectives de nature à porter atteinte à la sécurité nationale, de la reconstitution ou d’actions tendant au maintien de groupements dissous en application de l’article L. 212 1
- La prévention de la criminalité et de la délinquance organisées
- La prévention de la prolifération des armes de destruction massive
Vous êtes bien sûrs que vous ne serez jamais concernés? Jamais fait de manifestations? Parce qu’elles peuvent être visées… Et dans la famille? Vos amis?
Ah! C’est bien ce qu’il me semblait…