Aah ces fameux attentats de janvier! Tout le monde n’y aura pas perdu visiblement… Depuis ces événements, le gouvernement s’est refait un nom à coup d’unité nationale, de discours guerriers et de renforcement du contrôle de tous. Plan Vigipirate toujours à son niveau maximum, débats sur un Patriot Act à la française, contrôle des passagers aériens renforcé, débats sur la menace Internet, interpellations de mineurs supposés terroristes… Les idées fusent et les projets jugés anti-démocratiques il y a quelques mois sont aujourd’hui garants de notre salut. Tremblez jeunes gens! Nous sommes en guerre, et nous devons défendre nos libertés, quitte à se priver d’une partie d’entre elles.
Le 6 janvier 2015, la France faisait passer un décret autorisant la censure des sites présumés terroristes et pédophiles sans décision de justice. C’est le décret n° 2015-125 du 5 février 2015.
La censure administrative, un projet qui attendait depuis pas mal de temps
Pour celles et ceux qui suivent un peu l’actualité sur ces sujets, la censure sans consultation de la justice ressemble à un grand classique de la mesure inutile et pourtant dangereuse.
En 2011, la Loppsi 2 avait été votée par une droite particulièrement dure sur les questions du renforcement de la « sécurité » et de la restriction des libertés en ligne. C’est aussi l’année où l’on décida d’obliger les fournisseurs d’accès à Internet à conserver un bon paquet de traces relatives à notre navigation.
À l’époque, le parti socialiste semblait être très remonté face à cette politique. Au conseil constitutionnel, il estimait à propos du filtrage de la Loppsi 2:
« [que] ces dispositifs de filtrage de sites pédopornographiques sont absolument inefficaces, mais, qu’au contraire, ils contribuent à rendre encore plus difficile la répression de ce fléau, quand ils ne la découragent pas tout simplement »
Et pour montrer qu’ils avaient bien compris les dérives possibles du blocage par nom de domaine, les socialistes ajoutent:
« Or ce risque existe bien, […], puisque le blocage d’un contenu peut entraîner le blocage d’un site dans son ensemble »
En effet, cette technique qui ne retire pas les contenus mais en interdit seulement l’accès depuis une IP française, peut impacter tous les sites qui partagent le même nom de domaine.
À présent, le PS et François Hollande considèrent visiblement que leurs arguments contre la Loppsi 2 n’étaient que palabres gauchistes, et que c’est bien Nicolas Sarkozy qui adoptait la bonne stratégie concernant Internet. Intéressant…
Le plus « jouissif », c’est qu’à l’époque du blocage des sites pédopornographiques, l’UMP se défendait d’aller au-delà de ce type de contenus. Mais aujourd’hui, le PS ne semble pas s’encombrer de ces bonnes intentions, et envisage déjà de faire de même pour les « sites et messages de haine racistes ou antisémites » (discours de la ministre de la Justice Christiane Taubira à l’École Nationale de Magistrature).
Dans la circulaire du 12 janvier de Mme Taubira, une tentative de définition de l’apologie du terrorisme est proposée:
« [c’est un discours qui vise à] troubler gravement l’ordre public par l’intimidation ou la terreur »
NextImpact s’est amusé à voir ce que cela pouvait englober, et ça risque d’être drôle!
« Cela concerne les atteintes volontaires à la vie, les atteintes volontaires à l’intégrité de la personne, l’enlèvement et la séquestration ainsi que le détournement d’avion, de navire ou de tout autre moyen de transport. S’y ajoutent les vols, les extorsions, les destructions, dégradations et détériorations, ainsi que le piratage informatique. On y range aussi les infractions en matière de groupes de combat et de mouvements dissous, les infractions en matière d’armes, de produits explosifs ou de matières nucléaires, le blanchiment ou certains délits d’initiés. »
Ce débat, loin d’être nouveau, avait pourtant déjà été entamé suite à la pénalisation de la consultation de sites terroristes par Nicolas Sarkozy après les assassinats de Toulouse et Montauban en 2012.
Des précédents et des conséquences peu engageants
Les dérives du filtrage ont déjà maintes fois été constatées, et pas uniquement par le blocage des DNS. En Angleterre, la volonté de censurer le porno avait réduit au silence un site d’aide aux femmes victimes de violences sexuelles. On pourrait encore se remémorer l’affaire Copwatch, ou observer le traitement ce mois-ci du site The Pirate Bay qui doit être lui aussi la cible d’un blocage, pour se faire une idée des adversaires couramment désignées par les pouvoirs publics.
Se rassurer en pensant que le procédé sera difficile à mettre en place sur des plateformes comme Facebook ou Twitter serait sans compter sur les volontés étatiques de substituer les lois nationales aux Conditions Générales d’Utilisation des entreprises. En effet, l’État envisage toutes les stratégies, notamment en les incitant à assurer ce rôle de censeur face aux « contenus incitant à la haine et à la terreur ».
À ceux qui considèrent que les luttes contre la pédopornographie et le terrorisme méritent bien quelques concessions, on ne pourra que rétorquer que la censure administrative ou privée ne s’est jamais cachée de viser bien plus loin que cela, et que c’est aussi contre le non respect du droit d’auteur que le filtrage d’Internet est bien souvent invoqué (voir notamment ACTA).
Quoi qu’il en soit, le contournement enfantin de ce type de blocage (avec un VPN, TOR, ou voir ici, ici, et là), ne pourra que complexifier les stratégies numériques des réels terroristes et renforcer leurs capacités à se développer discrètement.
Merci qui?
Édit du 15 mars: Le site islamic-news.info semble être le premier de la liste. Que la censure commence!
Allez, un petit dernier sur les anciennes prises de position du PS: http://www.20minutes.fr/web/976381-20120725-loppsi-gouvernement-abandonne-blocage-sites-juge
C’était l’époque où on disait qu’il n’y aurait pas d’application de la loppsi…